Portrait de prof

Portrait de prof – Alexandra Ivanovitch

11264419_1108337655846703_220007216_oAlexandra Ivanovitch vient de quitter la Sorbonne. Son doctorat en poche, cette passionnée de lettres modernes laisse derrière elle les salles de cours de Malesherbes et la rue Victor Cousin pour rejoindre le Centre de Recherches Interdisciplinaires dans le marais. Elle revient pour nous sur ses années à la Sorbonne et ses nouveaux projets.

Les cheveux éclaircis par le soleil Californien, c’est dans un café près de la Sorbonne que je retrouve Alexandra Ivanovitch, ancienne professeur à la Sorbonne. Elle a le sourire aux lèvres et ses yeux pétillent d’ambition pour l’avenir. Quitter la « maison mère » n’a pas été une décision facile, mais le travail qui l’attend l’enthousiasme. Et pour cause ! Elle va désormais « Réinventer les nouvelles manières d’apprendre et d’enseigner au XXIe siècle » au Centre de Recherche Interdisciplinaire (CRI). « Sacrée bouchée, n’est-ce pas ? », s’excuse-t-elle presque. « Le répéter ne rend pas le poids de la tâche plus léger. Mais c’est un défi qui vaut la peine qu’on le relève ! »

Un parcours d’excellence

« Lorsque j’ai commencé à donner des cours à la Sorbonne, je ne me sentais pas légitime, j’étais anxieuse.  A 24 ans, je donnais des cours à des élèves qui en avait 21… ou qui parfois étaient plus âgés que moi ! Avec le temps, j’ai pris de l’assurance, mais je ne me voyais pas faire cela pendant encore 40 ans : le format est toujours le même. Je ne me serais pas épanouie, à terme. » Agrégée de lettres modernes et diplômée de l’ENS, Alexandra Ivanovitch aurait pu se diriger vers le lycée ou les classes préparatoires, mais elle n’en avait pas l’envie. Quant au ‘Saint-Graal’, le poste de Maître de conférences, il n’y a que 2 ou 3 postes qui se libèrent chaque année pour sa spécialité. « Mon année de post-doctorat en Humanités numériques à l’université de Montréal a peut-être creusé ce décalage que je ressentais déjà avec le système scolaire français. En revenant en septembre de cette année, j’ai eu la sensation de ne plus être en phase. J’ai déjà collaboré avec le CRI, qui a mis en place un réseau d’éducateurs ‘innovants’. François Taddéi [le fondateur du CRI, ndlr] a mis en place un projet d’application. Lorsque ma collaboration avec eux s’est densifiée, un temps plein est devenu nécessaire. François Taddéi a proposé de m’engager pendant un an. Cela s’est juste produit plus tôt que prévu. » Une perte pour les élèves de la Sorbonne…

Phèdre et le pouvoir des mots

De souvenir, je ne crois pas avoir vu Alexandra Ivanovitch s’exprimer autrement qu’avec passion. Je ne l’ai eu en TD qu’au second semestre de ma L2. C’est le meilleur cours auquel j’ai jamais assisté.
Il fallait choisir un des cours proposés par la Sorbonne. J’avais choisi Phèdre en littérature comparée : la version de Sénèque, celle de Racine et celle de Sarah Kane. Phaedra’s Love, de Sarah Kane, est une pièce particulière, difficile. Représentée pour la première fois en 1996, elle ne respecte du mythe originel que l’amour de Phèdre pour Hippolyte. Pour vous mettre l’eau à la bouche, le prologue dépeint Hippolyte, affalé sur un canapé, reniflant des chaussettes sales éparpillées au sol. Jusqu’à ce qu’il en trouve une à son goût… se branle avec sans émotion et la rejette dans le tas. Le reste de la pièce est tout aussi coloré. Je vous laisse imaginer l’ambiance qui pourrait régner sur le cours, pendant le CM ou pendant le TD. Le plus probant serait probablement un silence gêné ? Au mieux, de l’inconfort, à la lecture d’une superbe scène de fellation ! Avec Alexandra Ivanovitch, pourtant, aucun malaise. « Phèdre se discute », me réaffirme-t-elle durant notre entretien.

Elle est parvenue à retirer le choquant pour ne laisser que la symbolique et l’extraordinaire force du talent littéraire de Sarah Kane ?
« J’essaye d’introduire des éléments de pédagogie interactive anglo-saxonne. Je me suis toujours beaucoup intéressée à ce que l’on faisait ailleurs que chez nous en matière d’enseignement. Cela vient probablement de mes racines franco-américaines. »

Sylvain Rameau, un camarade de classe de ce cours qui l’avait aussi eu l’année précédente témoigne : « J’ai tout de suite choisi son TD lorsque j’ai vu qu’il était disponible. Je n’avais jamais eu de professeur qui soit aussi bien. Je me souviens d’autant plus particulièrement de ce semestre que j’étais le seul garçon du TD !
En L1, nous avions étudié « hôte et parasite » dans le Tartuffe de Molière et l’Odyssée d’Homère. Chaque cours avait pour fil d’Ariane un thème, une problématique autour du corpus. Puis s’engageait une discussion d’analyse autour de ce thème pour finalement apprendre par la pratique ce que l’on doit faire en commentaire et en dissertation. Mais nous le faisions à l’oral, et de manière collective.
Je n’ai jamais autant apprécié mes cours, tout simplement parce qu’ils étaient vivants : je ne me sentais pas jugé si mon analyse était bancale, au contraire c’était toujours vu comme quelque chose de constructif. On ne peut pas dire que ce soit souvent le cas malheureusement… »

Pendant le cours d’Alexandra Ivanovitch, le dialogue est roi. Elle le mène avec une façade d’assurance qui cache, certes, des doutes, mais aussi l’envie de toujours faire mieux. De toujours faire plus. Car l’interprétation, la réinterprétation et le partage ne sont pas simplement une passion pour elle. Il s’agit aussi d’un art de vivre.

Radio Paris Sorbonne : Quel était votre sujet de thèse ?

Alexandra Ivanovitch : « J’ai travaillé sur les apocryphes dans la fiction, sous la direction de Danièle Chauvin. Un sujet qui a un peu remué mon jury de thèse. Je crois que pour certains, le sujet est devenu un peu personnel. Je suis très reconnaissante au professeur de théologie de Strasbourg qui est intervenu en ma faveur. Grâce à lui, mon exposé s’est terminé sans encombre. »

RPS : Avez-vous une passion, en dehors de la recherche ?

AI : « En dehors de l’écriture, j’ai un amour inconsidéré pour la danse. L’interprétation, la réinterprétation corporelle… J’ai fait beaucoup de modern jazz, mais suite à une blessure, j’ai arrêté. Je me suis mise aux danses à deux : salsa, zouk brésilien, samba. Récemment je me suis mise au swing ! J’adore. L’ambiance est bon enfant, très différente de celle de la salsa. Je me suis aussi essayée aux danses classiques indiennes, sacrée. C’est une expérience enrichissante. Les mouvements sont souvent très semblables à ceux de la danse classique occidentale, mais leur portée est bien plus spirituelle. »

RPS : Preniez-vous plaisir à enseigner dans une classe de la Sorbonne ?

AI : « L’amphi Chasles, au dernier étage. C’est un bon compromis entre la salle de classe et l’amphithéâtre. »

RPS : Et votre meilleur souvenir à la Sorbonne ?

AI : « Je crois que c’était en 2011, pendant un atelier de théâtre de Phèdre. Deux étudiantes se sont emparée d’une des scènes de Phaedra’s Love. Elles ont effectué un vrai travail sur la scénographie, on ébauché un fond de scène, fait des costumes, joué avec la musique… Elles ont imposé une ambiance dans la salle de classe. Cela m’a touché qu’elles s’investissent autant. Elles se sont rendues vulnérables, ont pris des risques. Cela m’a fait plaisir qu’elle me fasse confiance à ce point. Un grand moment. »

RPS : Un petit mot d’adieu ?

AI : « Je n’ai pas le sentiment d’être partie en ayant laissé derrière moi des choses que je n’avais pas dites. Mais je peux peut-être me répéter. N’ayez pas peur de poser des questions, de vous approprier les œuvres, les consignes. Il n’y a pas de mauvaises réinterprétations ! »

Ophélie Surcouf

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